Comment parler d’argent avec ses enfants sans tabou et en faire un sujet de famille

Comment parler d’argent avec ses enfants sans tabou et en faire un sujet de famille

Parler d’argent avec ses enfants, c’est un peu comme parler de sexualité : on sait que c’est important, mais on ne sait pas trop par où commencer. On a peur d’en dire trop, pas assez, de transmettre nos angoisses… Résultat : on évite le sujet. Et l’argent devient un truc de grands, mystérieux, parfois angoissant.

Et si on changeait ça ? Et si l’argent devenait un sujet de famille, normal, sans tabou, comme « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »

Pourquoi c’est si difficile de parler d’argent avec ses enfants ?

Si tu te sens mal à l’aise dès qu’il faut parler budget ou salaire, tu n’es pas seul·e. Il y a plusieurs raisons à ça :

  • On n’a pas appris nous-mêmes à en parler : nos parents disaient souvent « ça ne te regarde pas » ou « on n’en parle pas aux enfants ».

  • On a peur de les inquiéter : si le mois est compliqué, on se dit « je vais pas lui mettre ça sur les épaules ».

  • On a honte : de gagner « pas assez », d’avoir des dettes, ou au contraire, de gagner « trop » et d’avoir peur de passer pour quelqu’un de prétentieux.

  • On ne sait pas quoi dire, ni à partir de quel âge.

Le problème, c’est que le silence n’empêche pas les enfants de se poser des questions. Ils entendent « c’est trop cher », « je n’ai pas les moyens », « on verra à la fin du mois », mais sans comprendre ce que ça veut dire. Et quand on ne comprend pas, on imagine… souvent pire que la réalité.

Parler d’argent, ce n’est pas leur refiler nos soucis, c’est leur donner des repères. Comme on le fait pour la sécurité routière ou les écrans.

À partir de quel âge parler d’argent… et de quoi exactement ?

Bonne nouvelle : tu n’as pas besoin d’attendre que ton enfant sache faire des divisions à virgule pour parler d’argent. Tu peux adapter le discours à son âge.

Entre 3 et 6 ans : les bases

  • À cet âge, les enfants comprennent surtout le concret : « on paie pour avoir quelque chose ».

  • Ils voient que tu donnes une carte ou des pièces, mais ils ne voient pas le lien avec le travail, le temps, le budget.

Idées simples :

  • Commenter ce que tu fais : « Je paie avec ma carte. L’argent vient du compte où je reçois mon salaire quand je travaille. »

  • Parler de choix : « On ne peut pas tout acheter aujourd’hui, on choisit le pain et les fruits, et on garde les glaces pour ce week-end. »

  • Introduire la notion de « pas maintenant » : « On ne peut pas tout acheter tout de suite, on économise pour plus tard. »

Entre 6 et 10 ans : les premiers calculs et les projets

  • Là, ils commencent à comprendre les chiffres, les additions, les comparaisons.

  • Ils peuvent gérer de petites sommes, des pièces, et suivre un mini-projet.

Idées concrètes :

  • Donner une petite somme pour un achat précis : « Tu as 5 euros pour choisir ton livre à la fête de l’école. »

  • Parler d’économies : « Ce jouet coûte 20 euros, tu as 8 euros, il te manque 12 euros. On peut économiser ensemble. »

  • Montrer la différence entre besoin et envie : « On a besoin de chaussures parce que les tiennes sont trop petites. Le 3e jeu Pokémon, c’est une envie. »

À partir de 10 ans et ados : le budget et la réalité

  • Ils comprennent la notion de budget, de salaire, de charges fixes.

  • Ils commencent à se comparer aux autres : vêtements de marque, téléphone, vacances…

Là, tu peux :

  • Montrer un budget simple du foyer (sans tout détailler) : loyer, courses, essence, activités, loisirs.

  • Parler de ton travail, de ton salaire, en expliquant ce que ça représente (temps, études, choix de vie).

  • Discuter des pubs, de l’influence des réseaux : « Pourquoi on a envie d’acheter ça ? Qui y gagne ? »

Le but n’est pas de transformer ton enfant en expert de la Bourse, mais qu’il sache que l’argent ne tombe pas du ciel, qu’il sert à des choses différentes, et qu’on fait des choix avec.

Comment en faire un sujet normal à la maison ?

Si tu veux éviter le côté « grande discussion solennelle sur l’argent » (gênant pour tout le monde), le plus simple, c’est de glisser l’argent dans le quotidien.

1. Parler à voix haute de tes petits calculs

Pas besoin de tableau Excel, juste de dire ce que tu fais déjà dans ta tête :

  • « Ces pâtes sont moins chères au kilo que celles-là. »

  • « Si on prend ce pack familial, on en a pour la semaine et ça coûte moins cher que des petites portions. »

  • « On va à la bibliothèque plutôt que d’acheter un livre, ça nous permet d’en lire plus sans dépenser autant. »

Ce genre de phrases, répétées, donne des repères. Tes enfants voient que l’argent, ce n’est pas juste « on a / on n’a pas », c’est des choix raisonnés.

2. Mettre les enfants dans certaines décisions

Pas sur tout, mais sur des petites choses :

  • « On a 20 euros pour une soirée pizza-film. On prend une pizza livrée ou on achète les ingrédients et on en fait deux maison ? »

  • « Pour tes 50 euros de cadeau d’anniversaire, tu préfères un gros cadeau ou plusieurs petits ? »

  • « On a un budget de 100 euros pour les vacances pour les activités. On choisit quoi ensemble ? »

Ils apprennent que chaque choix en exclut un autre. C’est une des bases de la gestion de l’argent.

3. Mettre des mots simples, même sur les moments difficiles

Si le mois est serré, mieux vaut une explication calme qu’un « on n’a jamais d’argent » lâché en soufflant, qui stresse tout le monde.

Exemples de phrases :

  • « Ce mois-ci, on a eu une grosse facture de voiture. Du coup, on va faire attention sur les extras comme les restos et les jouets. Mais on a ce qu’il faut pour ce dont on a besoin. »

  • « On ne peut pas faire ce voyage cette année, mais on va mettre de l’argent de côté pour l’an prochain. »

Tu rassures, tu expliques, mais tu ne mens pas. Ton enfant sent quand quelque chose cloche de toute façon.

Argent de poche, récompenses, cadeaux : comment s’y retrouver ?

Grand sujet à débat : faut-il donner de l’argent de poche ? Payer pour les tâches ? Offrir sans compter ? Là encore, pas de modèle parfait, juste des options à adapter à ta famille.

L’argent de poche : un mini-laboratoire

L’argent de poche, ça peut être un super outil pour apprendre :

  • gérer une somme sur une durée (une semaine, un mois),

  • attendre pour un achat,

  • faire des erreurs pendant que les enjeux sont encore petits.

Quelques repères (à adapter à ton budget et à ton pays) :

  • À partir de 7-8 ans : une petite somme hebdo (par ex. 2 ou 3 euros) pour les extras (bonbons, cartes, petites babioles).

  • À partir de 11-12 ans : une somme mensuelle un peu plus grande, avec des responsabilités claires (cadeaux aux copains, certaines sorties, etc.).

L’essentiel, c’est de clarifier :

  • ce que tu continues à payer (vêtements, cantine, activités, fournitures scolaires…)

  • ce qui est à sa charge avec son argent de poche.

Payer les tâches : pour ou contre ?

Deux grandes approches :

  • Les tâches de base ne sont pas payées : elles font partie de la vie de famille (mettre la table, ranger sa chambre, aider à débarrasser).

  • Des tâches « bonus » peuvent être rémunérées : laver la voiture, tondre la pelouse, aider à un gros rangement, promener le chien du voisin.

Ça permet de transmettre deux choses :

  • On participe tous à la maison, sans paiement.

  • Mais on peut aussi gagner de l’argent par un travail supplémentaire. L’argent ne tombe pas tout seul.

Les cadeaux : l’occasion de parler valeur et budget

On peut aussi parler d’argent à Noël, aux anniversaires… sans casser la magie.

Par exemple :

  • « Pour Noël, on a un budget global pour la famille. On préfère faire des cadeaux utiles et qui durent. »

  • « Pour ton anniversaire, ton cadeau principal coûte tant. Papi et Mamie ajoutent tant. Ça fait une belle somme et on la consacre à quelque chose qui te fait vraiment plaisir. »

L’idée n’est pas de détailler chaque euro, mais de montrer que derrière un cadeau, il y a un choix et un effort.

Les phrases qui bloquent… et comment les transformer

On a tous des phrases automatiques sur l’argent, héritées de notre enfance. Problème : elles façonnent aussi la relation de nos enfants à l’argent.

Quelques exemples :

  • « L’argent, ça ne pousse pas sur les arbres. »
    Tu peux remplacer par : « Pour avoir de l’argent, on doit travailler ou rendre un service. »

  • « On n’a jamais d’argent. »
    À la place : « En ce moment, on doit faire attention parce qu’on a eu des grosses dépenses. »

  • « C’est trop cher, point. »
    Tu peux préciser : « C’est trop cher pour nous en ce moment » ou « On préfère mettre cet argent dans autre chose. »

  • « On ne parle pas d’argent. »
    Tu peux dire : « On peut en parler, mais je ne te dirai pas tous les détails, parce que c’est perso. Par contre, je peux t’expliquer comment ça marche. »

L’idée n’est pas d’être parfait·e, mais d’être un peu plus conscient·e de ce qu’on transmet. Tu peux même le dire à ton enfant : « J’essaie de mieux parler d’argent, ce n’est pas facile parce qu’on ne m’a pas appris, mais on va apprendre ensemble. »

Des activités simples pour parler d’argent en s’amusant

Plutôt que de lancer une « leçon d’économie familiale » (bâillements garantis), tu peux utiliser des jeux et des situations du quotidien.

1. Jouer au magasin

  • Avec les plus petits : inventer un magasin à la maison avec des jouets, des fausses pièces, des billets.

  • Tu peux montrer la monnaie : « Tu as payé 5, ça coûte 3, je te rends 2. »

2. Les jeux de société

  • Monopoly, La Bonne Paye, Catan… Ils ont leurs limites (la vraie vie est plus compliquée) mais permettent d’aborder : gagner, perdre, investir, économiser.

  • Pendant le jeu, tu peux glisser : « Dans la vraie vie, on ne recommande pas trop de vivre « à découvert » comme ça, tu sais… »

3. Un projet commun

  • Choisir un but : une journée parc d’attraction, un gros Lego, un concert…

  • Faire ensemble : une petite affiche avec la somme à atteindre, colorier au fur et à mesure qu’on économise.

  • Parler des choix qui permettent d’y arriver : « On prend moins de goûters achetés pour mettre cet argent dans la tirelire du projet. »

4. Impliquer les ados dans certaines dépenses

  • Par exemple : leur donner un budget vêtements pour la rentrée et les laisser gérer.

  • Ils vont peut-être tout mettre dans des baskets de marque et galérer pour le reste. Ce n’est pas un échec, c’est une expérience (frustrante, mais formatrice).

Et si on est soi-même stressé par l’argent ?

Tu te dis peut-être : « Je suis mal placé·e pour en parler, je gère déjà mal mon propre budget. » Justement, c’est là que ça devient intéressant.

Quelques pistes :

  • Tu peux être honnête sans rentrer dans les détails : « L’argent, ça m’angoisse un peu, alors j’essaie d’apprendre à mieux faire. »

  • Tu peux montrer que même les adultes apprennent encore : suivre un atelier budget, lire un livre, utiliser une appli… et le dire à tes enfants.

  • Tu peux expliquer que les erreurs financières, ça arrive, et qu’on peut s’en sortir petit à petit.

Ce que tes enfants retiendront surtout, ce n’est pas tellement le montant sur ton compte, mais :

  • ta façon de réagir quand c’est serré,

  • si tu communiques ou si tout devient tabou,

  • et s’ils se sentent impliqués sans être écrasés.

Faire de l’argent un sujet de famille… sans en faire une obsession

Le but n’est pas que tout tourne autour de l’argent, ni que ton enfant devienne obsédé par les prix dès 6 ans. L’argent, c’est juste un outil, au service de votre vie de famille.

Ce que tu peux installer progressivement :

  • Des petites phrases du quotidien qui expliquent ce que tu fais avec ton argent, sans dramatiser.

  • Des moments où tu impliques ton enfant dans de vrais choix (courses, vacances, cadeaux).

  • Un cadre clair sur l’argent de poche, les tâches, les cadeaux, pour que tout le monde sache à quoi s’en tenir.

  • Un climat où on a le droit de poser des questions sur l’argent sans se faire renvoyer dans sa chambre.

Tu n’auras pas toujours les bonnes réponses. Tu diras parfois trop, parfois pas assez. Tu lâcheras encore des « c’est trop cher » un peu secs en caisse de supermarché après une journée pourrie. Ce n’est pas grave.

L’important, c’est d’ouvrir la porte. De montrer à tes enfants qu’ils ont le droit de comprendre, de poser des questions, de se tromper, d’apprendre.

Parce qu’au fond, parler d’argent en famille, ce n’est pas parler de chiffres. C’est parler de choix, de valeurs, de projets. Et ça, c’est tout sauf un sujet tabou.